Dans le cadre d’un projet européen initié par Eurocadres, une formation sur l’impact et l’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) sur le travail des cadres s’est déroulé à Paris les 10 et 11 février.
D’autres modules de formation se tiendront dans les mois à venir dans d’autres pays européens et une synthèse de ses différents travaux verra le jour avant la fin de l’année.
Ce projet est réalisé en collaboration avec une équipe de chercheurs de l’université Lyon 2 sous la direction de Marc-Eric Bobillier Chaumon qui travaille depuis plusieurs années sur ces questions et a publié des études sur ce sujet, notamment pour le compte de l’APEC.
Ce module a permis de regrouper des militants syndicaux de différentes organisations françaises membres d’Eurocadres et de travailler, dans une démarche intersyndicale, à des revendications communes sur ce sujet qui concerne fortement nos catégories.
Vous pouvez contribuer aux travaux de l’équipe universitaire de Marc-Eric Bobillier Chaumon en répondant au questionnaire en ligne.
Les TIC et leur influence sur le travail
L’usage excessif des TIC en milieu professionnel peut engendrer des troubles psychologiques. Par exemple, la démultiplication des outils de communication nous conduit à faire plusieurs activités simultanées : les réunions d’équipes où chacun derrière son ordinateur portable consulte ses emails, les conversations téléphoniques durant lesquelles on échange par messagerie instantanée avec un autre collègue.
Il est prouvé que les nouvelles générations de cadre, qui ont grandi à l’ère numérique, gèrent mieux ce phénomène de dispersion. Il n’empêche qu’en moyenne, le travail d’un cadre est interrompu toutes les 4 minutes. Cet intempestif aller-retour entre activité principale et activités annexes est considéré par les chercheurs comme une charge cognitive. Ils appellent cette multi-activité : le méta-travail. Les TIC ont transformé notre manière de travailler ; au lieu de prendre une tâche et de l’amener jusqu’au bout, on avance une multitude de tâches en parallèle, en « zappant » de l’une à l’autre. Ce fractionnement du travail dû aux TIC affecte notre santé et pose la question de notre efficacité au travail.
Pourtant les TIC ont considérablement augmenté notre productivité : il est extrêmement simple aujourd’hui d’organiser une réunion de 10 personnes grâce à Outlook, de prendre des notes pendant la réunion directement sur son ordinateur portable, et de diffuser le compte rendu par mail avant de quitter la salle. Ceux qui travaillaient en entreprise dans les années 90, peuvent se rappeler comment la même tâche pouvait être contraignante et longue sans tous ces outils de communication : téléphoner aux 10 personnes pour fixer un rendez-vous, prendre des notes manuscrites, puis à l’issue taper le compte rendu sur l’ordinateur, l’imprimer en 10 exemplaire et le diffuser en courrier interne … L’apport des TIC dans notre manière de travailler est considérable.
La messagerie : ma meilleure ennemie ?
La contrepartie de ces gains d’efficacité est sans aucun doute l’intensification du travail qu’ont induit les TIC. Première responsable : La messagerie.
L’étude montre que les cadres traitent en moyenne 100 emails par jours et consacre 2 à 3 heures par jours à leur traitement. Ce flux de travail peut amener au syndrome de débordement cognitif : le sentiment de ne plus pouvoir faire face. On a tous été victime à un moment ou un autre d’un flux de mails trop important pour pouvoir le traiter.
Il y a ce mail important, qu’on n’a pas le temps de traiter tout de suite, qu’on tag en « Non lu », pour ne pas oublier, et qu’on garde dans le coin de notre tête, parmi d’autres avec cette sensation de travail non fait. C’est ce que les anglo-saxons appellent le FOMO : Fear Of Missing Out, la peur d’oublier quelque chose, qui nous met mal à l’aise, et à la longue, nous fatigue psychiquement.
L’email est même détourné de son utilisation initiale pour devenir un support d’archivage et un outil pour garder des traces. Emails, intranet, réseaux sociaux et bien d’autres sources d’informations nous inondent : c’est infobésité.
Quel usage des technologies ?
Quel est le rôle initial des technologies dans le travail ? Elles doivent nous délester des tâches pénibles ou répétitives. Elles doivent être utiles (aux besoins des usagers), utilisables (convivialité, simplicité) et acceptées (contexte professionnel ou culturel). Mais quand une technologie déroge à ces règles, elle devient une charge, et un risque pour la qualité du travail et la santé du salarié.
Les chercheurs ont identifié trois grands rôles de technologie: les technologies supplétives qui laissent toutes libertés à l’individu (comme l’email), les technologies substitutives qui remplacent les individus par des machines (outil pour prise de congé, réservation de billets en lignes, ordre de bourse automatiques, …) et les technologies prescriptives, qui encadrent et contrôle le travail (ERP, workflow, elearning).
Dans cette dernière catégorie, les marges de manœuvre du cadre sont limitées, la technologie lui dicte son travail et il doit suivre un processus prédéterminé.
L’homme doit adapter son rythme de travail à la vitesse de la machine.
Contrôle du travail par les TIC
Les entreprises ont su tirer profit des informations que nous laissons à travers les TIC pour contrôler et surveiller les salariés à leur insu : Les traces que nous laissons dans les outils informatiques et dans les mails, le calendrier Outlook partagé qui montrent ma disponibilité, la messagerie instantanée qui indique mon temps d’activité ou d’inactivité, le badgeage, tous ces systèmes nous plongent dans un sentiment d’être épié en permanence et dans une obligation d’hyper disponibilité.
Le constat général est que toutes nos entreprises utilisent les mêmes technologies, entrainant les mêmes problèmes, et formatent le travail pour ne laisser que peu de place aux innovations, au droit à l’erreur.
Quelles actions pour les syndicats ?
Les syndicats ont un véritable rôle à jouer dans la régulation et les décisions prisent au niveau des TIC. Nous devons demander à nos directions d’être systématiquement impliqué dans les décisions et les choix des nouveaux outils informatiques, car ils ont une incidence directe sur le travail et la santé des salariés.
Nos directions se sont donnés bonne conscience en nous faisant signer des chartes informatiques, mais ce n’est que dans un but de contrôle et de sanction ; Très peu de ces documents traitent de bons usages ou bonnes pratiques pour ne pas se laisser déborder, ou posent la question de la connexion en dehors des heures de travail. Nous devons demander des accords d’entreprise plutôt que des chartes.
Nous devons systématiquement incorporer les TIC dans les sujets d’accord sur le temps de travail (temps de connexion à la maison, femmes à temps partiel qui se connecte pour suivre le rythme), les astreintes (travail global qui impose une présence de 7h à 21h pour suivre les fuseaux horaires).
Article publié sur le site de l’UGICT : http://www.ugict.cgt.fr/articles/actus/linfluence-du-numerique-sur-le-travail-des-cadres